Les Marrons de la mer de Georges B. Mauvois

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tanliswta-les-marrons-de-la-mer-evasions-d-esclaves-de-la-martinique-vers-les-iles-de-la-caraibe-1833-1848« Les Marrons de la mer », expression poétique pour des destins parfois bien tragiques : ceux d’hommes et de femmes qui fuyaient l’esclavage en empruntant le chemin de l’eau. Le titre de l’ouvrage avait particulièrement retenu mon attention dans les rayons de la bibliothèque universitaire et son contenu accessible m’a donné l’envie de partager avec vous cette lecture. Aujourd’hui, je vous parle donc marronnage et particulièrement du livre Les Marrons de la mer, évasions d’esclaves de la Martinique vers les îles de la Caraïbe (1833-1848).

De la montagne à la ville, petits et grands marronnages.

Si vous n’êtes pas familier avec l’histoire de la Caraïbe, on parle de « marron » ou de « nègre marron » pour désigner un esclave en fuite. Le mot vient de l’espagnol cimarron. On admet généralement qu’il existe deux types essentiels de marronnage : le petit et le grand marronnage. Le petit marronnage consiste en une fuite temporaire, l’esclave disparaît pour quelques jours et revient habituellement de lui-même, parfois introduit par une tierce personne. Souvent, il ne part pas bien loin de l’habitation du maître, il fuit parce qu’il a faim, parce que sa compagne est sur un autre site, parce qu’il craint une punition,  et pour un tas d’autres raisons qu’expliquent les violences faites et les conditions de vie déplorables des personnes privées de leur liberté.

Le grand marronnage consiste en une fuite qui se veut définitive, la personne esclavagisée tente de se réapproprier sa liberté. Les deux formes les plus courantes qui me viennent à l’esprit sont la fuite vers les montagnes et celle vers les villes. La fuite vers les montagnes, vous en avez peut-être entendu parler pour la Jamaïque, où l’étendue du territoire à permis à certains marrons de se réorganiser en petites communautés à l’écart des plantations, mais aussi au Surinam ou en Guyane avec les Bushinengués… Par contre, pour les territoires réduits que sont les îles des Petites Antilles, le marronnage vers les montagnes était plus difficile à structurer sur le long terme. Il se pratiquait néanmoins et des milices de montagne étaient spécialement affectées à la recherche de ses femmes et hommes échappés. Mais nombre de marrons ont aussi tenté de se fondre dans la masse des villes parmi les esclaves et les Libres de couleur. Ils pouvaient y louer leur force de travail et se cacher avec l’aide de complices.

Marrons de la mer, évasions d’esclaves de la Martinique vers les îles de la Caraïbe (1833-1848)

Avec le livre, j’ai découvert une autre forme de grand marronnage dont je n’avais guère entendu parler jusqu’ici, le marronnage par la mer. Pour comprendre ce phénomène, il faut que je vous donne quelques éléments de contextualisation que certains auront peut-être deviné grâce au sous-titre du livre. Le 28 août 1833, c’est l’Abolition Bill ;  l’Angleterre proclame l’abolition de l’esclavage dans ses colonies. Certes, ce fut une abolition graduelle pour  la plupart des territoires de la couronne. Les esclaves étaient ainsi soumis à une forme d’apprentissage de la liberté et il fallut attendre 1838 pour une abolition complète et définitive de l’esclavage. Malgré tout, pour les colonies françaises, dix années supplémentaires furent encore nécessaires pour que l’abolition de l’esclavage soit proclamée, 1848.

Pendant ces quinze ans, nombre d’esclaves des colonies françaises furent donc tentés d’aller chercher leur liberté dans les îles voisines anglaises. Antigua, la Dominique et Sainte-Lucie, pour ne citer qu’elles, pouvaient être perçues comme autant de destinations pour les esclaves marrons de cette période. Georges B. Mauvois décrit ainsi au fil des pages ce que les sources lui ont permis d’apprendre de ces marrons de la mer, les interrogations qu’elles soulèvent, les possibles analyses. C’est franchement passionnant.

Fuir par la mer est une forme de contestation parmi d’autres, pas toujours facilement observable. Mais les vols de canot constituent un délit ; à ce titre, ils font l’objet de rapport et l’on voit ainsi en filigrane les tentatives d’évasion manquées ou réussies parfois préparées de longue date. Le phénomène est à ce point important qu’une police des embarcations est chargée de contrôler minutieusement la surveillance des esquifs dans toute l’île. Mais les canots ne sont pas toujours volés à un maître ; des embarcations de fortune sont parfois construites à l’abri des regards indiscrets dans les bois, les mangroves ou même au milieu des cannes.

tanlistwa-avis-marronnage-1836-journal-officiel-martiniqueAu mois de juillet 1836, l’administrateur colonial estime à plus de 800 le nombre d’esclaves en fuite ; rapporté à la population de l’époque, c’est plus ou moins 1% des esclaves qui ont tenté de fuir ! Tout en nuance, Georges B. Mauvois dresse les profils des différents candidats au départ. Il constate que les femmes sont moins représentées. Pour l’expliquer, il avance l’hypothèse qu’elles avaient une meilleure accessibilité à l’affranchissement par voie légale, mais aussi qu’elles avaient la charge des enfants ce qui entravait davantage leur mobilité. J’ai aussi particulièrement trouvé intéressant le moment où il souligne l’exode des « esclaves à talents », ceux qui possédaient un savoir-faire et qui détenaient déjà une forme de mobilité que les esclaves de houe (de champs) n’avaient pas. Le goût de la liberté nourrit le désir de liberté.

Bref, si vous voulez en savoir plus sur les Marrons de la mer, je vous conseille vraiment de vous plonger dans ce petit livre accessible, dernier opus posthume que nous a livré l’historien. Et vous, connaissiez-vous ce phénomène de marronnage par la mer? Avez-vous lu ce livre et particulièrement l’annexe dans lequel l’auteur partage une traduction d’une superbe source : un texte  écrit à Sainte-Lucie, le 19 mai 1845, offrant une réflexion sur les réfugiés martiniquais ?


Bibliographie

Georges B. Mauvois, Les Marrons de la mer, évasions d’esclaves de la Martinique vers les îles de la Caraïbe (1833-1848), Paris, Karthala/Ciresc, 2018.

Webographie

Je profite du billet pour partager le projet de recherche des professeurs Jean-Pierre Le Glaunec et Léon Robichaud qui ont réalisé une base de données en ligne recensant plus de 12 000 avis de marronnage à Saint-Domingue (Haïti) au XVIIIe siècle. À découvrir.

3 réflexions sur “Les Marrons de la mer de Georges B. Mauvois

  1. Bonsoir, je n’ai pas lu ce livre, mais j’ai découvert il y a deux jour, une décision du Conseil privé de la Guadeloupe, qui fait froid dans le dos. Elle concerne un « transfuge » arrêté à St Martin, et la remise en question de sa libération obtenue par sa vente à un propriétaire de l’ile anglaise d’Anguille.

    vue 25 30ème proposition du 5 janvier 1828

    http://anom.archivesnationales.culture.gouv.fr/osd/?dossier=/collection/INVENTAIRES/Ministeres/COL/SD/&first=SG_GUA148/FRANOM29_SG_GUA148_0003&last=SG_GUA148/FRANOM29_SG_GUA148_0030&title=S%C3%A9ance+du+5+janvier+1828

    cordialement

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    1. Merci pour ce document. Ce Franck n’a pas eu la vie facile avec tous ces propriétaires successifs qui l’ont ballotté d’un lieu à un autre. Je souris devant le règlement de compte « diplomatique » qui conclut que dans les deux cas il faut garder l’esclave sur l’île française. Je trouve intéressant aussi de voir que Franck a tenté un retour à Saint-Martin suite à son évasion d’Anguilla ; on peut supposer que les liens forgés avec d’autres esclaves et peut-être le partage d’une langue l’ont incité à revenir sur cette terre qu’il connaissait.

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