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A l’occasion des 34es journées du patrimoine, j’ai visité la maison des volcans au Morne-Rouge qui projetait un très bon film documentaire sur le volcanisme à la Caraïbe et proposait plusieurs espaces d’exposition dont bien évidemment certains sur la montagne Pelée. Quand on parle des éruptions de notre montagne, c’est souvent avec à l’esprit la tragique éruption du 8 mai 1902, qui en quelques secondes a entraîné la mort d’au moins 28000 personnes, détruit en quelques heures une ville de la carte et donné lieu à l’élaboration des fondements de la vulcanologie moderne par Alfred Lacroix.
C’est aussi ce qu’on a l’esprit les Martiniquais qui fuient leur terre dans la nuit du 16 septembre 1929, quand la belle endormie se réveille. Aujourd’hui, je vous parle donc non pas de l’éruption de 1902, mais d’une éruption méconnue : l’éruption de la montagne Pelée de 1929. C’est le titre et le sujet de l’ouvrage des services des musées de la collectivité territoriale martiniquaise, tirée d’une exposition de 2008, qui, au-delà de l’éruption, offre aussi un panorama de la vie politique, économique et sociale de la période. J’ai trouvé intéressant de plonger dans l’histoire de la dernière éruption de notre volcan dont notre mémoire collective se souvient peu.
A la veille des éruptions de 1929, les discussions politiques pour rétablir l’activité économique du Nord suite à la catastrophe de 1902 vont bon train. Saviez-vous que s’opposent les (plus nombreux) partisans de la redynamisation de Saint-Pierre à ceux qui soutiennent la construction d’un port à La Trinité? Les débats de l’après-guerre défendent la modernisation de la cité créole et l’ouverture au tourisme naissant, car déjà « La ville de Saint-Pierre et la montagne Pelée sont devenues un centre de curiosité et d’attraction pour les touristes américains qui viennent pas milliers« (1), intérêt qui ne se dément toujours pas de nos jours. Mais personne ne semble s’inquiéter d’une possible nouvelle éruption, la menace paraît écartée, le volcan s’est rendormi depuis plusieurs années. Ce n’est donc pas sans surprise que les Martiniquais assistent à une nouvelle phase éruptive le 16 septembre 1929.
Après une recrudescence des fumerolles au mois d’août, une éruption de roches a lieu de 16 septembre ; elle ne fait aucune victime et les destructions matérielles sont bien moindres qu’en 1902. Elle génère en revanche la fuite spontanée des populations environnantes. Et au petit matin du 14 octobre, la montagne s’éveille à nouveau, entraînant des évacuations pour plusieurs mois de 10000 réfugiés. A partir du 20 novembre et jusqu’en février 1930, le volcan produit des nuées ardentes et du magma neuf.
Les mouvements de population qui ont lieu en septembre et octobre ont un coût et engendrent une désorganisation sociale et économique de l’île. Outre la gestion à proprement parlé des réfugiés sur plusieurs mois , la désertion des environs de la Pelée ne va pas s’en poser des problèmes.
On peut par exemple découvrir des déclarations de pertes comme ceux de Dame Etile Démosthène couturière, mariée mère de trois enfants : «Par le fait des éruptions volcaniques du mois d’octobre, j’ai dû abandonner ma propriété et tout son contenu, pour me réfugier à Fort-de-France. Vu que les secours en nature qui nous étaient accordés étaient insuffisants, je suis retournée afin de récolter les légumes en maturité que j’avais abandonnée précipitamment.Telle a été ma surprise de constater les dégâts immenses faits tant par les animaux en divagation, que par de malhonnêtes gens qui profitant de l’évacuation dérobaient les champs abandonnés».
Les projets d’équipements et de grands travaux publics de Saint-Pierre et alentours sont aussi mis à l’arrêt. Saviez-vous par exemple qu’un barrage aurait pu être construit à Saut Babin (commune d’Ajoupa Bouillon) pour alimenter une usine hydro-électrique? Le projet a été abandonné suite à l’éruption au profit d’une usine thermique de production électrique à Fort-de-France. Conséquence de l’activité volcanique, plusieurs projets de travaux sont ainsi pensés prioritairement hors de la zone « Pelée » comme l’électrification de l’île ou … la construction d’une cité universitaire. Oui, vous avez bien lu, l’université qui ne fut créée qu’en 1982 a quand même une longue histoire derrière elle, mais je ne pensais pas que ça remontait à si loin!
L’activité soudaine du volcan amène aussi une réflexion des institutions sur les mesures à prendre : abandonner certains territoires comme Le Prêcheur, construire des routes pour faciliter les évacuations – comme celle faisant la liaison entre Deux-Choux et Morne-Rouge pour rallier Fort-de-France-, fabriquer du matériel ou des abris pour la sécurité des personnes, mener une surveillance continue de l’activité volcanique avec des outils scientifiques, installer des observatoires sont autant d’éléments à penser pour ce qu’on appelle alors la « politique du volcan ».
On apprend au passage de nombreux éléments sur le rôle de l’observatoire du Morne des Cadets (dont je vous reparlerai un jour pour son beau sismographe Quervain Picard de 20 tonnes) dans la surveillance de l’activité volcanique, sismique, et même cyclonique grâce aux documents laissés par son directeur de l’époque, Auguste Boutin. Au fil de la lecture, j’ai ainsi pu réaliser à quel point l’outillage scientifique existant à l’époque pour étudier l’activité d’un volcan -particulièrement au repos- était loin de permettre la surveillance dont nous bénéficions de nos jours.
Bien que peu vives dans nos souvenirs, les éruptions volcaniques de 1929 ont ainsi eu d’importantes conséquences dans les choix politiques, économiques et sociaux. La construction des routes, les lieux d’implantation d’infrastructures, les bâtiments pour la surveillance de l’activité volcanique… sont autant de traces de cet épisode volcanique toujours visibles dans le paysage de l’île.
Et vous, en dehors de 1902 et 1929, vous en connaissez d’autres des éruptions de la Pelée?
(1) Césaire Philémon, Galeries martiniquaises. Expositions coloniales internationales, Paris, 1931, p 11.
Iconographie tirée de Manioc.org
Nouvelle éruption de la montagne Pelée ( 24 novembre 1929 ), 1931
Evacuation de Saint-Pierre dans l’après-midi du Lundi 14 Octobre 1929, après la deuxième éruption de la montagne Pelée
Merci à Maurice Henry l’un des contributeurs majeurs des textes de ce livre et aussi des textes des expositions de la maison des volcans pour avoir partagé ses connaissances avec moi.
Je n’ai trouvé le livre à la vente qu’au musée d’histoire et d’ethnographie (Boulevard du Général de Gaulle, Fort-de-France) pour l’instant, mais il devrait à terme être distribué dans d’autres musées territoriaux et on l’espère aussi dans les librairies.