« Sur une île où on confond pistache et cacahuète… »

marchande de pistaches, pistachio merchant

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« Sur une île où on confond pistache et cacahuète… »
Vous avez surement déjà lu cette expression ou ses variantes si vous êtes un lecteur du site de Bondamanjak. En fait, historiquement parlant, on ne confond rien du tout ; on perpétue l’usage d’une désignation populaire au XVIIe siècle : la pistache de terre! Aujourd’hui, je vais donc vous parler chroniqueurs, voyageurs et arachis hypogaea dans nos îles de la Caraïbe.

Originaire d’Amérique latine, la pistache de terre fut un des nombreux noms utilisés pour désigner ce qui s’appelle plus communément aujourd’hui en France la cacahuète (ou cacahouète selon que vous appliquez ou non la réforme de l’orthographe). Cultivées bien avant l’arrivée des Européens dans les Amériques, des graines ont été retrouvées dans des tombeaux de l’Empire Inca au Pérou. Le mot cacahuète vient de l’espagnol cacahuete, qui lui même vient de l’aztèque tlacacahualt, littéralement « cacao de terre ».

Alors pourquoi parlons nous aux Antilles de pistaches?
Au XVIIe siècle, le révérend père Jean-Baptiste Du Tertre, missionnaire dominicain dans les îles, parle d’une plante que l’on appelle pistache « à cause de sa forme et de son goût (…), oléagineux et de même goût que nos pistaches de l’Europe ; on les présente au dessert, mais ils font mal à la tête à ceux qui en mange trop ; l’on en fait des cataplasmes qui guérissent les morsures des serpents &, l’huile que l’on en tire est estimée comme l’huile d’amande douce. »

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Quelques décennies plus tard, le révérend père Jean-Baptiste Labat décrit lui aussi ce fruit qu’on « appelle pistache très improprement (…). Les véritables pistaches ne croissent qu’en Asie. »
Pour l’instant gourmand, Labat  raconte qu’on « en fait des dragées, des massepains, on les met dans les hachis & dans les ragoûts en guise de marrons; on s’en sert encore pour donner au rossolis une odeur, & un goût d’amandes rôties qui n’est pas désagréable. »
Il compare aussi son expérience différente de celle de Du Tertre : « je n’ai point expérimenté, ou entendu dire que ce fruit ait causé mal à la tête à personne (1). Je suis très-certain qu’on n’a jamais pensé à guérir les morsures de serpents, avec un pareil remède & pendant le grand nombre d’années que j’ai demeuré aux Isles, je n’ai jamais entendu dire, qu’on se soit avisé de tirer de l’huile des pistaches, quoique nous en ayons eu assez souvent un besoin pressant. »

« pistache des isles autrement Manobi »
Dans une note descriptive en marge de la description, Labat indique qu’il parle de « pistache des isles autrement Manobi ». Néanmoins, ce nom de Manobi ne semble jamais avoir été employé couramment, même s’il est connu et mentionné par Louis de Jaucourt dans l’Encyclopédie à l’article « pistache » en 1765 et aussi dans une autre version de l’Encyclopédie à l’article « pistache de terre » en 1774 ; on peut en effet lire « voir manobi sive mondubi. Cette plante, qui paroit être l’ynchi des Péruviens, le mani des Espagnols, & l’araquidna des botanistes, croit dans le Brésil. »
Bref, Labat estime à raison qu’on parle improprement de pistache, mais c’est bien sous cette appellation que la cacahuète est connue des Français au XVIIIe siècle.

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Quand Thibaud de Chanvalon voyage à la Martinique dans les années 1750, c’est toujours des pistaches de terre vues au mois d’août dont il nous parle ; tout comme Félix Longin, qui voyage en Guadeloupe entre 1816 et 1822. Il décrit lui aussi « la pistache, plante qui croît sur le bord des eaux, toutes différentes du pistachier qui porte des amandes. On se sert de sa racine, en décoction ou en macération, contre le ténesme. »

Arachide, pistache de terre et cacahuète au XIXe siècle
Quand on regarde du côté des dictionnaires, le CNRTL atteste l’existence des mots arachide et cacahuète dès 1801. Reste que dans l’usage, cacahuète semble absent. En 1808, Sonnini publie un traité de l’arachide ou pistache de terre, et non un traité de la cacahuète. Les définitions du dictionnaire Littré de 1880, confirme cette tendance dans le choix des mots ; on se rend compte que l’arachide s’impose comme le mot adéquate tandis que la pistache de terre est présentée comme le nom vulgaire ; plus surprenant la cacahuète alors entrée  « cacahuet » ne semble encore qu’un synonyme mal connu. Il faut visiblement attendre le XXe siècle pour que le mot cacahuète s’impose dans le vocabulaire français au dépend  de la pistache de terre.

tanlistwa-nougat-péyi-pistache-cacahuète-arachidePois de terre, graine d’arachide, cacahuète, pinotte, pistache, pistache de terre… Quand on voit la persistance de l’emploi du mot pistache chez les auteurs français passés dans les îles au moins jusque dans le milieu du XIXe siècle, il n’est finalement pas si étonnant que les Antillais francophones désignent régulièrement encore ce petit fruit sous ce terme. L’emploi du mot peut parfois porter à confusion, mais que vous préfériez l’usage du vocable pistache ou celui de cacahuète, je vous invite surtout au plaisir de la dégustation d’un cornet ou du nougat péyi.

Et vous, vous dites plutôt pistache ou cacahuète ? N’hésitez pas à laisser la réponse (avec une région) en commentaire.


Note (1) Garcilaso de La Vega, fils d’une princesse inca et d’un hidalgo espagnol évoque en 1609 l’arachide sous le nom de « Ynchic » (langue Quechua) et explique que si elle est mangée crue, elle fait mal à la tête. On retrouve aussi cette information chez le missionnaire jésuite espagnol Bernabe de Cobo. Dutertre avait peut-être lu l’un ou l’autre de ces textes et recopié l’information ici contestée par Labat.

Source
Chanvalon de (Thibault), Voyage à la Martinique, J.B. Bauche, 1763.
Du Tertre (Jean Baptiste), Histoire générale des Antilles, T. Jolly, T. 2, 1667.
Labat (Jean Baptiste), Nouveau voyage aux isles de l’Amérique. Tome 2, P. Husson, 1724.
Longin (Félix), Voyage à la Guadeloupe, 1848.
Sonnini (Charles Sigisbert), Traité de l’arachide ou pistache de terre, D. Colas,  1808.

Bibliographie
Jeanguyot (Michelle), Séguier-Guis (Martine), L’herbier voyageur, Toulouse, Ed. Plume de carotte, 2004.

Iconographie sur manioc
Marchande de pistaches. « Machanne Pistaches ! Bien grillé é chaud », collection A. Benoit-Jeanette, 1930.
Grenadille ou fleure de la passion. Gouyaves. Pistache. Ananas. Momins. Bananier. Pome de momins . Chardon épineux. karatas. Cachima épineux. Patates ),  1930

3 réflexions sur “« Sur une île où on confond pistache et cacahuète… »

    1. Pour ma part, j’ai mis un peu de temps à comprendre le contenu du cornet. Mais maintenant je suis au point et je demande aussi du caramel pistache 😉 je dois avouer que j’aime beaucoup la version cajou aussi 😀

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  1. Malgré les efforts de certains écrivains haïtiens pour faire entrer le mot cacahuète dans le vocabulaire populaire, pistache demeure le seul nom connu sur tout le territoire. Tout comme au au beurre d’arachide nous préférons le “mamba”, mot typiquement haïtien dont l’origine est qu’ici inconnue.

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