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Marie-Thérèse Lucidor Corbin. Voilà presque un an que je garde le portrait de cette femme en réserve ! Je l’ai découverte pour la première fois quand je suis tombée sur une partition intitulée « Hymne des citoyens de couleurs par la citoyenne Corbin ; créole et Républicaine ». Cela a sérieusement piqué ma curiosité. Aujourd’hui, je vous parle de Marie-Thérèse Lucidor F. Corbin « créole et Républicaine », et bien plus encore !
Fille de couleur dans le Paris du XVIIIe siècle
Curieuse d’en savoir plus sur celle qui avait produit un hymne des citoyens de couleur, j’ai trouvé l’essentiel des informations dans les notes de Pierre Bardin tiré d’un bulletin de Généalogie et histoire de la Caraïbe. Voilà ce qu’on y apprend pour les débuts de sa vie.
Marie-Thérèse est née à Paris en 1749. Elle est de 2 ans la cadette de Louise. Les deux sœurs ont été lingères. Leur père meurt en 1771, leur mère en 1776. En 1786, Marie-Thérèse épouse Jean François Corbin, un marchand de vin, et apporte 12000 livres en deniers dans le contrat d’union ce qui n’est quand même pas rien. Elle a deux enfants : un garçon dont on ne sait pas grand-chose et une fille Marie Constance. Son couple semble connaître des difficultés. En 1789, Jean-François Corbin a quitté Paris. Marie-Thérèse est alors seule avec sa fille sans grandes ressources financières.
Ce que je ne vous ai pas dit c’est que les deux sœurs ne devaient pas passer inaperçues dans le Paris du XVIIIe siècle. Comme quelque 4000 à 5000 hommes et femmes du Royaume, elles étaient « de couleur ». En effet, Marie-Thérèse et Louise étaient nées d’un mariage peu banal pour le Paris de l’époque : celui de Charlotte Richard une mère blanche et André Lucidor un père noir.*
1789-1792 : Marie-Thérèse et le vol du Garde-Meuble.
Revenons à 1789. Marie-Thérèse a 40 ans. En France, la Révolution bat son plein. Les formes d’implications de Marie-Thérèse dans les débuts des événements révolutionnaires ne sont pas très claires ; mais une chose est certaine, en l’absence de son mari, les temps sont durs et Marie-Thérèse en est rendue à demander des secours financiers.
1792, marque néanmoins un tournant dans ses activités. En novembre, Marie-Thérèse est arrêtée. Ordre est donné de l’emprisonner à la Conciergerie, comme accusée de complicité de vol et de recel dans l’affaire dite « le vol du Garde-Meuble ». De quoi s’agit-il ? Rien de moins que du vol des bijoux de la Couronne ! Le casse du siècle. Néanmoins, aucune charge n’est retenue contre elle, car Marie-Thérèse était en fait chargée d’espionner pour le compte de la police afin de découvrir les voleurs. Marie-Thérèse était donc une « indic ». En février 1793, suite à son arrestation, elle fait paraître une pétition à la Convention nationale, dans laquelle elle réclame justice pour rétablir sa réputation et… des sous. Pétion ancien maire de Paris, Roland ministre de l’Intérieur, ainsi que Garat ministre de la Justice, témoignent en sa faveur.
1794 : discours, hymne et engagement patriotique d’une citoyenne « créole » !
Mais l’engagement patriotique et républicain de Marie-Thérèse ne s’arrête pas là. Suite au décret d’abolition de l’esclavage du 4 février 1794 (le 16 pluviôse an 2), elle fait partie de ceux qui donnent un discours le 18 février 1794 au Temple de la Raison (Cathédrale Notre Dame de Paris). En voici un extrait : « Et toi, Ogée, homme de Couleurs, notre frère et amie qui portasse ce Décret du 15 mai 1790 et qui est mort première victime assassinée par l’aristocratie dans nos Isles, reçoit les faibles hommages de notre reconnaissance.
Français quel plus beau jour pour nous de déployer ce Symbole de la réunion des trois peuples entre lesquels l’insolente aristocratie avoit tracé une ligne de démarcation. mais elle est enfin brisé ainsi que nos chaines que nous mettons sous nos pieds et nous jurons encore de défendre la liberté, l’égalité et soutenir la République une et indivisible. »
Elle entonne ensuite son hymne des citoyens de couleur.
Ce moment important de la vie de Marie-Thérèse est immortalisé sur la toile
« Réjouissances à l’annonce de l’abolition de l’esclavage. 30 pluviôse an II/18 février 1794. » On peut y voir le député Jean-Baptiste Belley reconnaissable à son uniforme. La femme noire devant lui pourrait bien être une représentation de Marie-Thérèse Lucidor Corbin!
Marie-Thérèse s’intéressait à la question du préjugé de couleur et se sentait proche de l’univers colonial français bien que n’ayant jamais vécu dans les îles. Elle n’hésite pas à mettre en avant son lien à la Martinique pour obtenir certains secours financiers. Elle est particulièrement en contact avec le milieu dominguois. Outre sa présence au côté de Belley pour les discours de 1794, elle obtient l’appuie de Sonthonax, dans une des demandes de secours ainsi que celui de Pautrizel, député de la Guadeloupe. En 1795, dans un texte défendant l’éducation nationale, Marie-Thérèse termine en expliquant que : « la citoyenne Corbin désirerait obtenir une place d’institutrice pour l’éducation de la jeunesse dans les colonies en y réunissant tous les arts utiles et agréables. Son patriotisme pur et zélé lui fait espérer qu’on aura égard à sa demande. Elle peut d’avance assurer de son exactitude et de sa parfaite reconnaissance. Signé Lucidor femme Corbin ».
À partir de 1801, Pierre Bardin perd la trace des événements de la vie de Marie-Thérèse et je n’ai pas poussé plus avant les recherches même si je suis bien curieuse de pouvoir creuser son lien à la Martinique où elle aurait des possessions. Mystère donc, sur la fin de vie de cette femme de couleur étonnante. Il n’en reste pas moins que sa pleine implication dans les événements de la période révolutionnaire est passionnante.
Et vous, connaissez-vous d’autres femmes de couleur « patriotiques, républicaines, créoles » qui se distinguent par leur action à cette période ?
*Histoire tout aussi passionnante d’André, si ce n’est plus, qui fera l’objet d’un autre billet.
Bibliographie
Bardin (Pierre), « LUCIDOR, ancien esclave, et sa fille Marie-Thérèse, à Paris », dans Généalogie et Histoire de la Caraïbe, numéro 227, Juillet-août 2009.
N’Diaye (Pap), « Pour une histoire des populations noires en France : préalables théoriques », Le Mouvement Social, vol. no 213, no. 4, 2005, pp. 91-108.
Luce-Marie ALBIGÈS, « La fête de l’abolition de l’esclavage à Paris », Histoire par l’image.
Sources et iconographie
Réjouissances à l’annonce de l’abolition de l’esclavage. 30 pluviôse an II/18 février 1794.
© Cliché Bibliothèque Nationale de France, Estampes, Qb1 4 février 1794
BNF, Discours de la citoyenne Lucidor F. Corbin, créole, républicaine, prononcée [sic] par elle-même au Temple de la Raison, l’an 2e de la liberté ([Reprod.]) 1793-1794.
J. Madival and E. Laurent, et. al., eds. Archives parlementaires de 1789 à 1860 : recueil complet des débats législatifs & politiques des Chambres françaises, Paris, Librairie administrative de P. Dupont, 1862, La citoyenne Marie ThérèseLucidor, femme Corbin, se présente à la barre, 3 mars 1793 (p. 711).
Cahier de la fondation Schœlcher n°4, 1e abolition de l’esclavage (février 1794) articles et documents, 1985.
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