–> Reading the English version of this post
Pour les besoins d’une recherche, j’ai tapé le mot-clé Guadeloupe dans le moteur de recherche des Archives nationales de France. C’est ainsi que j’ai découvert un document intitulé « Mémoire des frais de repas de noces dressé par Augé, traiteur, à l’occasion du mariage de son fils ».
Le document n’a visiblement rien à voir avec la Guadeloupe, il se trouve juste rangé là, dans un dossier regroupant des papiers épars dont certains concernent l’île. Toujours est-il que ce n’est un secret pour personne, je suis curieuse et gourmande, c’est donc avec jubilation que j’ai lu l’intitulé du document. Aujourd’hui, je partage donc le menu prévu par sieur Augé, traiteur, pour le repas de 45 couverts servi le mardi 17 mai 1768 à l’occasion des noces de son fils. Et ce n’est pas vraiment léger! Si cela ne nous renseigne pas particulièrement sur l’histoire de la Caraïbe, cela nous donne une idée de ce que pouvait contenir un banquet de noces au XVIIIe siècle ; surtout, le sucre, produit colonial par excellence du XVIIIe siècle fait partie de la table!
pour le milieu
- un cristeau [cristal]*
2 gros bouts
- dont un de perdrix au coulis de lentille et queue de mouton
- l’autre des gâteaux de beurre à la gelée
six hors-d’œuvre
- 2 de rissoles
- 2 de petits pâtés à la béchamel
- 2 de petits grenadins glacés [médaillon de veau]
douze entrées
- 2 de pigeons de volière à la basilique [basilic]
- 2 de poulets à la crème
- 2 de pâtés chauds de lapereau et ragoûts
- 2 des chapons au riz
- 2 de tête de veau au consommé
- 2 de pieds-de-mouton farcis frits
2e service en 10 plats de rots
- un rosbif d’agneau piqué pour deux plats de rots
- 2 plats de poules de coq
- 2 de pigeons romains
- 2 de levreau de Januies[?]
- 2 de tourteaux
Salades
- 2 de petits pères
- 2 de romaines
- 2 de laitues
- 6 huiliers
Entremets 3e service
- 2 gâteaux de Russie
- 2 de croquettes d’oreilles d’agneaux
- 2 de panières à la vendangeuse
- 2 de beignets pâté royal
- 2 de crème fleurs d’oranger citron
2 des coquilles de gelée de groseille- 2 de cuissons d’écrevisses
- 4 de petits pois à la crème
- 2 de macros [maquereaux] à la maître d’hôtel [avec une sauce au beurre et citron]
Dessert en plats
- 2 fromages glacés
- 4 compotes dont 2 de poires
- 4 de biscuits et macarons
- 2 jattes d’oranges
- 2 jattes de enesme piquée [il faut peut-être lire « de même » il s’agirait donc d’une jatte d’oranges piquées, peut-être de clous de girofle.]
- 2 de meringues à la choisie [Choisy]
- 4 d’échaudées
- 2 assiettes de sucre
La somme des frais engagés par M. Augé s’élève à 220 livres. On trouve au menu de grands classiques, qui sont aussi sur le menu de 1752 (ci-contre) ou dans la carte de restaurant de 1790-1792 des frères Very.
Certains des mets ont une longue histoire derrière eux, puisqu’ils sont aussi cuisinés à l’époque médiévale, à l’image des rissoles. D’un autre côté, la présence des deux assiettes de sucre témoigne de l’entrée récente des produits coloniaux sur les tables des plus aisées ou pour les grandes occasions ; c’est en effet à partir du XVIIIe siècle que le sucre devient un ingrédient à part entière dans la cuisine de l’Ancien Monde et non plus seulement un remède.
Je reste quelque peu dubitative sur les meringues à la Choisy, car il s’agit d’une préparation à base de laitue, j’ai du mal à trouver l’idée attractive. On retrouve d’ailleurs une recette de mouton de Choisy dans le menu de 1752. Mais d’une part, les goûts culinaires sont question de culture et d’époque et, d’autre part, l’effet recherché était peut-être davantage visuel -obtenir une meringue verte -, que gustatif.
Je ne suis pas certaine de ce qu’il faut comprendre pour le « levreau de Januies », s’agit-il d’une espèce particulière ou d’un type de préparation ?
Quant aux gâteaux de Russie, ils font peut-être référence à la Charlotte dite à la Russe ou au gâteau Franco-russe (une sorte de millefeuille). En effet, aux XVIIIe et XIXe siècles, des cuisiniers français ont été embauchés au service de l’aristocratie russe créant certaines recettes, comme le veau Orloff que l’on imagine de nos jours comme des classiques du pays des tsars.
Et comme nous touchons à la fin faim, je vous laisse avec deux recettes, tirées du livre A table avec les grands personnages de l’histoire.
Edit du 06/09/2017 : Le mystère « levreau de Januies » est résolu. Merci Julie Duprat pour l’aide à la lecture. Il faut en fait lire « levreau de Janvier ». Pourquoi ceux de janvier en particulier? Ce sont Les classiques de la table… de 1845 qui donne une piste de réponse. L’ouvrage évoque cette période comme offrant « des lièvres excellents et en toute maturité« .
*Entre crochets [mes commentaires].
Sources
Voir l’original numérisé du Mémoire des frais de repas de noces dressé par Augé, traiteur, à l’occasion du mariage de mon fils, 21 mai 1768, Cote : MC/RS//94, sur les Archives nationales de France.
Bibliographie
Saliver en lisant Birlouez, Eric, A table avec les grands personnages de l’histoire, éditions Ouest-France, 2012.
Webographie
Un article illustré pour mieux connaitre la cuisine française au XVIIIe siècle
Un article sur les plus anciennes cartes de restaurants connues dont celle des frères Very et celle des trois frères provençaux
Un article sur les mangeurs dans la peinture occidentale du XVIe au XIXe siècles
Découvrir un Menu d’un livre de cuisine au XVIIIe siècle
Si vous n’êtes pas déjà parti en cuisine vous mettre quelques choses sous la dent, il y a encore l’Almanach des gourmands : servant de guide dans les moyens de faire excellente chère de 1803 à consulter sur Gallica.