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Lors d’une promenade à Fort-de-France, je suis allée observer les iguanes que l’on peut voir près du port et du fort Saint-Louis ; ce fut l’occasion de me rappeler que la Martinique fut autrefois aussi connue sous le nom de Ioünacaera : l’île aux iguanes. Le saviez-vous ? Et ce n’est pas son seul surnom! Aujourd’hui, je vous parle donc iguanes, fleurs, femmes et noms doux portés par notre île.
De Matininό à Martinique
Lors de son quatrième voyage, en 1502, vers les Amériques, C. Colomb explora l’île qui devint la Martinique dans la cartographie et la littérature française. Je ne vais pas reprendre en détail les hypothèses sur l’origine du nom, car il existe un très joli travail de Didier Lampin qui le fait en retraçant l’évolution de Martinino à Martinique avec toutes ses déclinaisons sur les cartes du XVIe siècle, que je vous invite donc à lire. Mais pour faire court, ça n’a rien à voir avec Saint-Martin. Il faudrait davantage y voir un dérivé de Martes mot castillan pour mardi ou encore, si l’on regarde du côté du blog Vous voyez le topo, ce serait le dérivé du nom que lui donnaient les Taïnos des Grandes Antilles.
Martinique ou Matininό, l’île aux femmes.
Des contemporains de C. Colomb rapportent que les Taïnos, Amérindiens des Grandes Antilles, auraient évoqué auprès de l’explorateur une île peuplée uniquement de femmes et ayant beaucoup de métaux : Matininό! Je vous passe les développements sur les récits mythiques autour des Amazones dans cette affaire ; ce qu’il est important de retenir, c’est que ça n’est peut-être pas complètement déconnecté d’une certaine réalité historique. En effet, les Petites Antilles ont connu plusieurs vagues de migrations et d’occupations d’Amérindiens. À la période des contacts avec les Européens, les Kalinagos étaient alors les Amérindiens occupants la Martinique. Pour peu qu’une bonne partie des hommes fussent partis en expédition au moment où Colomb et ses hommes arrivèrent sur l’île, on peut imaginer qu’il ne fallut pas longtemps pour voir dans leur absence le lien « évident » avec la Matininό évoquée par les Taïnos. Mais c’est là mon interprétation toute personnelle.
Martinique ou Ioünacaéra : l’île aux Iguanes.
Depuis plus de 4000 ans, notre petite terre est connue et occupée plus ou moins régulièrement par différentes tribus d’Amérindiens ; aussi, avant de devenir la Martinique, notre île a porté un autre nom. Pour les Kalinagos présents sur l’île au temps de la conquête européenne, elle s’appelait Ioünacaera : l’île aux iguanes! « Ioüana » ou ses dérivés signifiaient iguane et « caera », l’île. Dans un article consacré à la toponymie indigène des Antilles, l’anthropologue Thierry L’Étang liste différentes déclinaisons de Ioünacaera dans les sources européennes du XVIe siècle et des siècles suivants : Iguanaqueya pour Geraldini, Yguanaquera pour Alonso de Chaves, Guanaquira pour le chef Pedro Caribe et d’autres encore…
Redécouvert petit à petit par les Martiniquais, Ioünacaera, l’île aux iguanes est encore peu mentionnée de nos jours ; C’est Madinina, l’île aux fleurs que j’entends le plus souvent.
Martinique ou Madinina : l’île aux fleurs.
Je pensais que les termes Madinina ou Madiana étaient d’usage relativement récent, aussi, c’est avec surprise que j’ai découvert Madinina « Reine des Antilles » un ouvrage publié en 1931. En préface, l’auteur William Dufougeré, ancien médecin des troupes coloniales, évoque la Martinique, « ce joyau de l’Atlantique que les Caraïbes avaient baptisé du gracieux nom de Madinina, l’île aux fleurs« .
Après lecture de l’article de Didier Lampin dont je parlais précédemment, l’origine de Madinina peut se comprendre. « Certains lexicographes ont fait remarquer qu’il pourrait s’agir d’une simple confusion d’écriture entre les lettres «rt» qui auraient ainsi fusionné en un seul «d»… ou inversement. L’hypothèse de l’erreur de recopie n’est certainement pas irréaliste… » C’était l’explication déjà avancée par Sidney Daney de Marcillac dans son Histoire de la Martinique publiée en 1846. Parlant de C. Colomb et des îles, S. Daney disait qu’il « s’était arrêté, pendant trois jours, dans l’une d’elles que les naturels ou Caraïbes appelaient Madanina, Madiana ou Mantinino » et S. Daney faisait remarquer en note : « Il est probable que les articulations sauvages des Caraïbes qui prononcèrent ce nom aux premiers Espagnols, frappèrent les oreilles de ceux-ci d’une manière diverse, et chacun d’eux le répéta à sa façon. » Erreur de transcription donc, qui peut encore arriver de nos jours ; la page officielle du ministère des Outre-Mer ne saurait le démentir…
« Madidina »? 😉 Mais trêve de taquineries. Martinica, Madiana, Madinina… D’accord pour la graphie changeante.
Mais d’où nous vient « l’île aux fleurs »?!
En cherchant à remonter la piste de cette appellation, j’ai trouvé l’expression dans Les Colonies françaises d’Amérique… ouvrage publié en 1924, mais aussi, et c’est la plus ancienne mention sur Gallica, dans Géographies départementales de la France… édité en 1892! On peut y lire que « les indigènes la désignaient sous le nom de Madiana l’île aux fleurs. » Où le rédacteur de l’article a-t-il bien pu lire cette information ? Je n’ai pas pu remonter au-delà pour l’instant. Pour moi, le mystère de l’île aux fleurs reste entier. Je peux comprendre que l’expression fasse le bonheur du secteur touristique et explique son large succès, mais je n’ai pas trouvé son origine dans les sources historiques.
Et vous, avez-vous déjà rencontré l’expression île aux fleurs pour la Martinique au XIXe siècle et avant ?
Webographie
Lampin, Didier, Les cartes du XVIe siècle : la Martinique, l’île du Mardi ?
Blog Vous voyez le topo, La Martinique, l’île aux femmes
Bibliographie
Celma, Cécile (coord.), Les civilisations amérindiennes des Petites Antilles, 2008.
A lire notamment pour les articles de Benoît Bérard et Thierry L’Étang.
1492, la double découverte, Bureau du Patrimoine, 1993.
Sources
Daney de Marcillac, Sidney, Histoire de la Martinique…, E. Ruelle, 1846, tome 1, pp. 1-2.
Dufougeré, William, Madinina « Reine des Antilles »…, Paris, Berger-Levrault, 1931.
Moreau de Jonnès, Alexandre, Histoire physique des Antilles Françaises…, Migneret, 1822, tome 1. p 10 et suivantes.
Les Colonies françaises d’Amérique… 1924. p. 38.
Géographies départementales de la France…, 1892. p. 3.
Iconographie sur Manioc.org
Les Caraïbes. Description du Monde, 1683. Extrait de Voyages aux Isles de l’Amérique (Antilles) 1693-1705, tome 1.
Enfin, merci beaucoup à Milo pour sa photo de l’iguane commun. Si vous voulez en savoir plus sur les iguanes à la Martinique, visitez le site Iguanes-Antilles. Il existe 2 iguanes : l’espèce endémique « delicatissima », en voie de disparition, et l’iguane commun que l’on peut facilement observer aux abords du Fort Saint-Louis.
Mise à jour : 26/12/2019
Didier Lampin a depuis fermé son site web, les liens morts vers son site ont été supprimés.
En tout cas ce sont des noms qui invitent au voyage. L’article m’a donné l’envie de chercher l’île sur des vieilles cartes et j’en ai trouvé une belle sur Gallica datée de 1657: l’île est partagée en deux, d’un côté la demeure des Francois (sic), et de l’autre la demeure des sauvages. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84947963/f1.item Merci pour cet article. 🙂
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Cette représentation existe aussi en version colorisée http://cartes-martinique.pagesperso-orange.fr/Sanson_Martinique.jpg (ce site est une mine pour les cartes), elle est assez connue ici, car cette figuration de la séparation François/Sauvages est présenté chez le chroniqueur Dutertre dans son « Histoire générale…. »
Une de mes cartes préférées est plus tardive (1770) ; il s’agit de la carte de Moreau du Temple http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b55005896v/f1.item.r=carte%20de%20moreau%20du%20temple.zoom Elle est d’une grande qualité et les principales habitations sont figurées dessus (avec les bâtiments, leurs orientations…).
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