L’affranchissement des libres de fait par l’ordonnance royale du 12 juillet 1832.

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Cette année, c’est la 170e commémoration de l’abolition de l’esclavage de 1848 en Martinique. Je voulais vous présenter un membre de ma famille affranchi à cette occasion, mais voilà pour l’instant, il n’y en a point. Comment est-ce possible ? Parce que des affranchissements, il y en a eu aussi avant 1848. Aujourd’hui, je vous parle des d’affranchissements des années 1830 et je vous présente une de mes ancêtres : Élisabeth Laurencine.

1848, marque la fin de l’esclavage pour près de 70 000 personnes (soit 60 % de la population) à la Martinique ; mais à la veille de cette date majeure, on dénombre déjà près de 37 000 Libres de couleur (32 % de la population)*. Des personnes qui comme leur nom l’indique, sont libres, qu’elles fussent affranchies ou libres de naissance, mais stigmatisées par la couleur de leur peau qu’elles fussent métissées ou non.

La proportion des libres de couleur ne cesse de croître au fil du temps, tant par les affranchissements que par l’accroissement naturel. Près d’un siècle plus tôt en 1751, les libres de couleur n’étaient alors que 1413 individus recensés (moins de 2 % de la population) ! Dès les premiers temps de la colonisation, ces affranchis et leurs descendants furent présents dans la société coloniale. Le terrier de 1671, par exemple, recense Pitre de Basque, « nègre libre », propriétaire d’une petite habitation vivrière avec une case à demeurer.

Mais c’est surtout au XIXe siècle que le nombre des libres de couleur augmente considérablement, car, parallèlement à l’obtention de l’égalité des droits civils pour les Libres de couleur, la législation des années 1830 vient faciliter l’affranchissement d’une partie de la population servile. En 1831, une ordonnance était promulguée pour la suppression des caisses d’affranchissement ; il n’était plus besoin de verser une taxe pour faire affranchir un esclave. L’ordonnance de 1832, elle, régularise la situation des libres de fait, autrement dit de personnes qui vivaient librement, mais sans avoir obtenu un acte officiel de l’administration coloniale reconnaissant cette liberté, ce qui fragilisait considérablement leur situation.

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« Désirant notamment appeler au plus tôt à la liberté légale les individus, qui dans quelques colonies, jouissent à divers titres de la liberté de fait ;
Nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit (…)
Tout individu qui jouit actuellement de la liberté de fait, le cas de marronnage excepté, sera admis à former, par l’intermédiaire, soit de son patron, soit du procureur du Roi, une demande pour être définitivement reconnu libre.
Pareille demande pourra être formée par l’intermédiaire du procureur du Roi, par toute personne non encore légalement affranchie qui, à l’époque de la promulgation de la présente ordonnance, aura accompli huit années de service dans la milice. »**

Avec la promulgation de cette ordonnance, le nombre des libres de couleur double entre 1831 et 1835, passant de 14 000 à plus de 28 000 personnes !  D’autres textes contribuèrent encore à faciliter les affranchissements : particulièrement l’ordonnance du 29 avril 1836 et l’ordonnance du 11 juin 1839. Si cela vous intéresse, je reviendrai dessus dans un autre billet.

Plusieurs de mes ancêtres font partie de ces hommes, femmes et enfants affranchis suite à l’ordonnance de 1832. Je vous présentais, en octobre 2017, Jean Louis dit Cicine Pierre-Louis, l’ancêtre dont je porte le nom, affranchi avec 482 autres personnes au François en 1833. Sur le modèle de ce #généathème « 100 mots pour une vie », je vous parle aujourd’hui d’Élisabeth Laurencine. Près de 150 ans nous séparent, elle est ma 5 fois arrière-grand-mère dont il me reste encore beaucoup à découvrir.

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Affranchie au Lamentin en 1833, Élisabeth Laurencine est décrite « négresse de 20 ans », libre de fait par elle-même, accompagnée de ses enfants : Joséphine 3 ans, Jules 2 ans. Rien sur son passé.  L’absence d’un nom de maître ou de patron laisse penser qu’elle vivait librement depuis longtemps, même si cette liberté n’était alors pas officielle. Vraisemblablement, Élisabeth était enceinte d’un troisième enfant en 1833 : Aly Didi, que je découvre témoin et oncle dans un acte de naissance de 1869. On connaît Élisabeth couturière à son affranchissement et cultivatrice à 54 ans lors du mariage de son fils Jules en 1868 où ni l’un ni l’autre ne savent signer.

Et vous, avez-vous retrouvé des ancêtres affranchis dans les années 1830 ?


*Il y a alors environ 9000 Blancs (8 % de la population). Les chiffres proposés sont approximatifs et donnés à titre indicatif pour avoir une idée des ordres de grandeur ; ils tiennent compte des différents chiffres proposés dans les travaux de David,  Baude et Élisabeth (leurs estimations dépendent des sources étudiées).
**Archives territoriales de Martinique, 3K 2/5 Bulletin des actes administratifs de la Martinique, p. 318, n° 846.

Bibliographie
BAUDE Pierre, L’affranchissement des esclaves aux Antilles Françaises… 1948.
DAVID Bernard, Les origines de la population martiniquaise…, 1973.
ÉLISABETH Léo, La société martiniquaise…, 2003.
PETITJEAN-ROGET Jacques, Personnes et familles à la Martinique au XVIIe siècle…, 2000.

Sources
Archives territoriales de Martinique, 3K 2/5 Bulletin des actes administratifs de la Martinique, p. 318, n° 846.

ANOM, état civil, acte d’affranchissement d’Élisabeth Laurencine, 1833, n°94.

 

2 réflexions sur “L’affranchissement des libres de fait par l’ordonnance royale du 12 juillet 1832.

  1. Merci pour cet article très instructif. La croissance de la population libre en 4 ans est impressionnante. Je n’ai jamais vu la mention « libre de fait » dans les registres d’état civil à la Réunion. Il faudra que je regarde à nouveau.

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    1. Merci pour votre commentaire 😉 c’est toujours plaisant de lire vos retours.
      Pour ma part, au XVIIIe siècle, je vois parfois des mentions de « soi disant libre » ou « se disant libre ». J’ai moins étudié les actes du XIXe siècle. La mention de « libre de fait » va de paire avec l’ordonnance de 1832 je la trouve donc dans ces actes d’affranchissement à partir de cette période.

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