Couleurs café par Marie Hardy-Seguette

La couverture du livre est illustrée par une peinture représentant une habitation caféière. Il s'agit d'un paysage en morne, boisé en hauteur et dans le lointain. Au centre une maison, et quelques cases, autour un espace cultivé.

Temps de lecture : environ 6 minutes.
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Jamais 2 sans 3. Après Bordeaux Métisse de Julie Duprat et Parcours contrastés des abolitionnistes Cyrille Bissette et Victor Schœlcher de Léo Ursulet, j’ai reçu dans la boîte aux lettres Couleurs café de Marie Hardy-Séguette. L’année débutera donc à nouveau avec la présentation d’un ouvrage.

Marie Hardy-Séguette travaille sur l’histoire du café depuis fort longtemps ! Ses travaux de Master portaient en 2007, sur les caféières et sucreries sur la côte au vent de la Martinique, en 2008, sur les habitations caféières de Saint-Pierre et du Lorrain. Ce sont ces travaux initiaux qui l’ont conduite à s’interroger sur le monde du café martiniquais révélé par les sources, son histoire propre, par contraste avec l’histoire des habitations-sucreries.

tanlistwa_couleurs-cafe_marie_hardy-seguette_2022Couleurs café est une version remaniée et publiée de la thèse d’histoire Le monde du café à la Martinique du début du XVIIIe siècle aux années 1860 ; à ce titre, l’ouvrage est volumineux, riche de statistiques et d’analyses chiffrées et d’un appareil scientifique soutenu qui raviront les chercheurs et les érudits.

Jusque-là, l’historiographie s’était davantage intéressée à la culture de la canne à sucre du fait de sa place prépondérante sur le plan économique ; le travail dense de Marie Hardy-Seguette sur une culture secondaire permet donc de découvrir le monde de l’habitation sous un autre angle, d’en voir sa diversité et ses particularités.

S’appuyant sur une large variété de sources et un dépouillement sériel sur trois tranches décennales du notariat, l’approche permet d’observer sur un temps long les modifications internes tout au long de la culture commerciale d’exportation du café à la Martinique depuis les années 1720 aux années 1860, et en offrant des points de comparaison avec d’autres colonies.

J’ai trouvé intéressantes, en particulier, les analyses approfondies des concepts et notions que l’on prend bien souvent pour acquis. Qu’est-ce qu’une habitation ? Que recouvre le mot « case » ? Quel sens donner au mot habitant ? L’ouvrage interroge systématiquement l’emploi de ces mots si commun au monde colonial pour vérifier leur acception et les évolutions dans le monde du café aux différentes périodes étudiées.

Le livre s’organise en trois parties, dont la première traite du cycle économique du café, autrement dit, s’intéresse à la production de café dans son contexte géopolitique colonial à l’échelle de l’île et de l’international. Elle décrit l’essor fulgurant de la culture du café dans les premiers temps, suivi d’une période difficile pour la filière à partir de l’époque révolutionnaire, puis le long déclin au XIXe siècle face à la baisse des relations commerciales avec la France, la concurrence du marché, et plus secondairement de l’épuisement des sols.

J’ai été surprise de lire que l’on importait déjà du café étranger dans l’île au XIXe siècle à mesure de la diminution des exportations du café martiniquais. Je ne sais pas pourquoi, mais il s’agissait dans mon esprit d’un phénomène plus récent. Mon attention a aussi été retenue par la partie détaillant les habitations-caféières et les communes pour lesquelles cette culture a eu une importance particulière : au Gros-Morne, au Lamentin et à Rivière-Pilote. Ce ne sont pas du tout les paroisses que j’aurais spontanément proposées !

J’ai été captivée par la partie sur les espaces domestiques, car, chose rare dans des études de ce type, l’ouvrage détaille l’architecture et le lexique employé. Or, cela me donne un point de comparaison bien pratique lorsque je réalise des études accompagnant des recherches archéologiques ! Fait-on une différence entre la maison et la case ? Est-ce que le mot « case » est connoté relativement au statut social de la personne ? J’ai appris que si l’on associe aisément aujourd’hui « case » et « esclave », « maison » et « maître », il n’en était pas de même au XVIIIe siècle. Les archives renseignent des « case à loger », « case à demeurer » ou « case de maître ». « La maison de maître » est une expression qui s’est développée au XIXe siècle, mais qui était rarement employé auparavant pour parler du logement du propriétaire. L’emploi des mots « case » ou « maison » était davantage lié à la différence de matériaux et de dimensions du bâtiment décrit.

J’ai aussi été intéressée d’apprendre, que, sur les habitations-caféières, les bâtiments industriels étaient rares, à l’exception du moulin à café présent sur (seulement) la moitié des habitations étudiées. Cela témoigne de l’existence de deux types d’habitation : celles qui produisaient, récoltaient et transformaient sur place (café habitant), quand d’autres laissaient la dernière étape à une « bonifierie » ou manufacture de café (café bonifié). Je pensais que davantage d’habitations produisaient du café habitant.

La seconde partie de l’ouvrage est axée sur les exploitants-caféiers. Là encore, un gros travail a été fait pour questionner les mots « habitant », « propriétaire », « agriculteur »… J’ai trouvé ça vraiment intéressant. Quand un document qualifie une personne d’habitant, d’après vous, est-ce une profession ou un statut ? Quelles sont les conditions pour en être qualifié ? Faut-il posséder une exploitation agricole, y vivre, l’exploiter ? Il apparaît qu’au XVIIIe siècle, la condition de résidence était importante, mais pas nécessairement au XIXe siècle, où le mot semble plutôt avoir pris le sens d’exploitant. « Habitant » était une profession, alors que « propriétaire » était un statut ! Après 1848, dans le monde du café, le mot agriculteur fut plus utilisé que celui d’habitant (laissé aux seuls grands exploitants sucriers).

L’étude dresse le profil socio-économique des habitants-caféiers ; peut-être serait-il plus juste que j’écrive « les profils » ?! Ils furent des petits Blancs créoles, anciennement producteurs de cacao, quelques notables ou d’anciens militaires, des personnes blanches, mais aussi plusieurs personnes libres de couleur, femmes et hommes dont la culture du café constituait, pour certains, l’activité principale, pour d’autres, un complément de revenu. Certaines familles particulièrement impliquées dans le monde caféier sont listées comme les Bénéteau, Birot, Caffié, Gigon, Morin, Poulet… Il existait d’importantes disparités sociales et économiques au sein de la catégorie ; seuls quelques cas isolés purent atteindre un niveau de fortune comparable à des exploitants sucriers (qui restèrent le modèle social valorisé tout au long de la période).

Enfin, parce qu’il n’y aurait pas eu d’habitation caféières sans esclaves pour les faire prospérer, la dernière partie de l’ouvrage renseigne les personnes esclavisées. À la Martinique, les habitations-caféières étaient de petites habitations, en monoculture puis davantage en polyculture, d’en moyenne 4 carrés cultivés. Il y avait environ 1500 pieds par carré de terre au XVIIIe siècle, puis 1100 pieds au XIXe siècle. En moyenne, on recense 9 esclaves par habitation à la Martinique en 1835 ; pour une mise en perspective, il y en avait 128 à la Jamaïque en 1832 ! Vous trouverez dans cette partie de l’ouvrage les informations que les archives renseignent pour ces personnes (origine, âge, prix, qualification, maladie et infirmités…). De mon côté, j’ai retenu qu’elles étaient très créolisées, la majeure partie non qualifiée, comme ailleurs, il y eut un peu de domesticité, mais de manière moins marquée que sur les habitations-sucrières, et aussi quelques artisans (charpentier, maçon…).

Pour celles et ceux d’entre vous qui connaissent mes travaux académiques, j’étudie en particulier les personnes libres de couleur. J’ai donc lu avec intérêt la sous-partie sur les exploitants-caféiers consacrée au genre et à la couleur qui rend compte de la réalité démographique et de l’accessibilité (ou non) de ce secteur économique aux personnes minorisées. On y découvre quelques cas, comme Prudent Dieudonné, commis à Saint-Pierre et son frère Fanfan Eleuther, horloger, marchand, négociant, commerçant et par ailleurs propriétaires d’une habitation-caféière ou le couple Joachim Claire et Reinette Rosa, marchands-confiseurs et propriétaires d’une habitation caféière. Il n’est pas facile de retracer l’histoire de ces personnes, de leur famille, particulièrement sur plusieurs générations, mais les parcours individuels et familiaux s’inscrivant dans l’histoire plus large des sociétés coloniales sont riches d’enseignement, alors, je glisse ici mon souhait de lire un jour un article détaillé, à la manière des Papiers de la liberté de Scott et Hébrard, sur ces personnes-là.

En ce début d’année, voici donc une suggestion de lecture pour découvrir un autre pan de la société d’habitation à travers le monde du café à la Martinique.


Bibliographie

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