Bordeaux Métisse de Julie Duprat

tanlistwa, couverture de livre, Bordeaux Métisse Esclaves et Affranchis du XVIIIe à l'Empire, Julie Duprat, 2021

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Souvent la boîte aux lettres est synonyme de factures, publicités et papiers administratifs variés. Rien de très réjouissant somme toute. Toutefois, de temps en temps, il s’y glisse aussi des enveloppes épaisses au contenu intriguant ! C’est ce petit plaisir que j’ai eu à la fin de l’année dernière, quand j’ai reçu (dédicacé de surcroît !) Bordeaux Métisse, Esclaves et Affranchis du XVIIIe à L’Empire de Julie Duprat. Aujourd’hui, je commence l’année 2022, comme j’ai fini la précédente : avec la présentation d’un ouvrage !

Si vous vous intéressez aux blogs sur l’histoire des Noirs avant l’abolition définitive de l’esclavage, vous connaissez sûrement déjà Noire métropole tenu par Julie Duprat. Je vous avais auparavant parlé de son blog dans le billet La petite histoire des Noirs de France, car elle y dresse des portraits passionnants d’hommes et de femmes, chef cuisinier, escrimeur, chanteuse lyrique… et traite plus largement de la vie des personnes noires esclaves, affranchis ou libres de naissance en France aux XVIIIe et XIXe siècles. Julie Duprat a soutenu une thèse d’École Nationale des Chartes en 2017 intitulée Présences noires à Bordeaux : passage et intégration (1763-1792) ; c’est ce travail qui a été à la base de la publication en 2021 aux éditions Mollat de Bordeaux Métisse.

tanlistwa, couverture de livre, Bordeaux Métisse Esclaves et Affranchis du XVIIIe à l'Empire, Julie Duprat, 2021
Couverture de Bordeaux Métisse

L’ouvrage rappelle une fois de plus que l’histoire de l’esclavage et du colonialisme en France concerne tout autant le royaume que les colonies outre-mer. Au fil des pages, on y découvre les passagers et les marins libres de couleur ou esclaves qui embarquèrent et débarquèrent à Bordeaux, les personnes, qui y ont vécu réduites au statut d’esclaves, souvent domestiques ou apprentis, et celles libres, aux destins variés.

Parmi mes temps forts de lecture, j’ai été marquée, en particulier, dans le chapitre sur les affranchissements, par les stratégies des maîtres pour s’accommoder des variations de législations autour de l’esclavage entre les deux espaces. Je pense notamment à des « affranchissements » qui n’en avaient guère que le nom et maintenaient de fait l’esclave sous domination du maître, en y apposant des conditions telles que l’obligation de continuer à servir pendant dix ans la famille ; concrètement, cela permettait au maître de contourner les législations en vigueur qui cherchaient à limiter le temps de présence des esclaves dans la métropole. J’ai été contente de retrouver Casimir Fidèle, cet homme, cuisinier, au parcours exceptionnel qui tenait un établissement hôtelier à Bordeaux et dont Julie a aussi présenté le portrait sur son blog. J’ai été piquée d’intérêt par les stratégies genrées de l’élite relativement aux enfants métis héritiers de pères blancs, qui fait que les garçons avaient tendance, une fois éduqués, à retourner dans les îles gérer les habitations familiales, tandis que les filles restaient vivre dans la métropole. Enfin, j’ai roulé les yeux au ciel quand j’ai lu le passage sur les doléances de la période révolutionnaire. On y apprend que certains demandaient le renvoi des gens de couleur parce que leur présence nuisait à la domesticité blanche (comprenez que ça faisait trop de concurrence sur le marché de l’emploi). Je suis toujours surprise par cette vitalité au fil des siècles du mythe de l’Autre comme cause des maux de la société et dont l’expulsion ou la disparition réglerait les problèmes ! Heureusement, il y a constamment aussi des personnes altruistes et, à la même époque, on trouve donc, aussi, dans les cahiers de doléance, des demandes d’abolition de l’esclavage.

Le livre permet de découvrir bien d’autres informations sur la population noire de Bordeaux (typologie, origine, éducation, activités, réseaux…). Et comme souvent, ce type d’étude est l’occasion de faire des comparaisons et de voir des différences avec la situation dans les colonies, à l’image des statistiques sur les unions mixtes qui montrent une majorité d’unions impliquant un homme noir avec une femme blanche, situation impensable à la Martinique à la même période (comme en témoigne la réaction du gouverneur à la présence de Tholosan « homme de couleur » avec sa femme « blanche » au débarquement d’un navire en 1815 dont je parlais dans le billet sur le préjugé de couleur à la française).

Enfin, je voulais vous signaler la présence en annexes de listes mentionnant ces esclaves, affranchis ou leurs descendants selon les sources étudiées par Julie ; cela pourrait être un outil utile pour ceux et celles qui cherchent à reconstituer des généalogies ou des parcours de vie. Pour ma part, j’ai été subjuguée par la lecture des annonces parues dans les avis de la presse de l’époque que ce soit pour déclarer des marronnages, chercher à se mettre au service d’une famille, trouver un passage sur un navire…

En ce début d’année, voici donc une suggestion de lecture à ajouter à votre PAL (« pile à lire » pour les non-initiés !). Et vous, qu’avez-vous lu ces derniers temps ?


Bibliographie 

Webographie

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