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Est-ce qu’il y a des périodes de vos vies où vous enchaînez les difficultés ? Vous savez, ces jours où vous vous dites que vous auriez mieux fait de rester au lit ou ces moments qui donnent un sentiment de loi des séries, ce genre de période qui nous fait attendre avec impatience la fin du cycle pour le démarrage d’un autre sous de meilleurs auspices. Si j’avais vécu en 1766 à Fort-Royal (aujourd’hui Fort-de-France) de la Martinique, j’aurais probablement été pressée de voir arriver 1767 : incendie d’une partie de la ville en mai, ouragan en août, raz de marée et séisme en septembre. Une année bien remplie en aléas ! Je vous rapporte ce que nous racontent les archives de ces évènements de 1766, une année noire pour la ville foyalaise et ces habitants, mais aussi pour toute l’île.
Après l’incendie de Fort-Royal dans la nuit du 19 au 20 mai ; et l’ouragan qui a dévasté l’île dans la nuit du 13 au 14 août, je vous parle, aujourd’hui, dans ce dernier épisode, du raz de marée du 18 septembre et du séisme du 19 septembre.
Le raz de marée du 18 septembre et le séisme du 19 septembre
Après un incendie et un ouragan, les foyalais et foyalaises vivaient encore un raz de marée suivi d’un séisme. La lettre du 28 septembre du gouverneur qui l’évoque débutait pourtant en montrant les progrès faits pour relever la Martinique ; faisant état de sa tournée de l’île, il note « qu’il y a vu partout les têtes remises et les habitants occupés à réparer leurs pertes, que l’établissement de Champflore est rétabli ; qu’enfin tout le mal sera bientôt réparé. Qu’au moyen de l’introduction de la farine angloise les vivres se trouvent à aussi bon compte à la Martinique que dans toutes les autres isles de l’Amérique. Il pense ainsy que M. de Peinier devoit proroger jusqu’au mois de mars prochain la liberté de cette introduction. » Cependant le courrier mentionne plus loin qu’« il y a eu le 19 septembre un tremblement de terre à la Martinique et la veille un raz de marée qui a beaucoup dégradé les nouveaux quais de Fort Royal. » Décidément le secteur des quais à Fort-Royal, fondamental à une époque où la voie maritime est le principal moyen de déplacement même au sein de l’île, fut malmené en 1766.
Si sur le moment le gouverneur semblait en faire peu de cas, un mois plus tard, son courrier du 22 octobre rend compte de l’épuisement face à l’enchaînement des aléas naturels et de leurs conséquences. Visiblement éprouvé et à bout, il écrivait : « de mémoire d’hommes, il n’y a point encore eu un si cruel hyvernage que celuy-cy ; nous avons tous les jours des tempêtes, des pluies, des ras de marée, et des vents affreux, il y a eu encore hier un tremblement de terre qui a duré fort longtemps, mais qui n’a cependant pas été violent. Il y a beaucoup de maladies au Fort Royal et dans toute la colonie ; ce sont en vérité Monsieur Le Duc de vilains pays à habiter que ceux-cy. »
Avec la fin de l’hivernage et la fin des déchainements naturels, le gouverneur semble sortir de sa déprime saisonnière et reprit son ton habituel pour rapporter sa gestion de la colonie ; dans le courrier du 26 novembre, il écrivit qu’il pensait pouvoir mettre fin à l’autorisation temporaire des farines étrangères en avril 1767, sans toutefois l’annoncer immédiatement pour éviter d’éventuelle spéculation par une annonce trop anticipée. Le courrier du lendemain, 27 novembre, faisait quant à lui état d’une situation mitigée, malgré une première phrase qui se voulait encourageante.
« Tout va bien dans la colonie, chacun travaille avec ardeur à réparer ses pertes et je vois avec satisfactions, qu’on fera plus de sucre cette année, que je ne l’avois d’abord espéré ; à l’égard de la récolte de café, et de cacao, elle est entièrement perdue ; aussy ce sont les petits habitants qui sont les plus à plaindre, ils ont de la peine à nourrir leurs nègres, et dans les paroisses les plus maltraitées, il y a même du désordre à cet égard ; j’y remédie autant qu’il est en moy, j’ai même fait punir à la diligence des procureurs du Roy, quelques coupables, cela a produit un bon effet, mais n’arrête pas le mal en entier ; il est difficile de faire entendre raison là-dessus à ces maîtres barbares, et en même temps maladroits, relativement à leurs intérêts ; et de leur persuader qu’il faut savoir vendre un nègre pour nourrir et sauver les autres ; néanmoins à force de soins, j’espère que si je n’arrête pas en entier le mal, au moins je le diminueray beaucoup ; nous avons encore six mois difficiles à passer ; car jusque là, nous n’aurons guère encore de vivres du pays, heureusement que la farine de froment et les biscuits sont à un prix fort modéré ; c’est à présent la seule nourriture des esclaves, et sans l’introduction de la farine de la Nouvelle-Angleterre nous aurions éprouvé une horrible famine. (…)»
« Tout va bien dans la colonie », mais les petits planteurs de café et cacao n’eurent pas de récoltes, mais les esclaves firent les frais à bien des égards du manque de nourriture, mais les soldats des troupes mouraient en « assez grand nombre » à l’hôpital ralentissant les travaux de fortifications comme le signale la suite du courrier. En 1766, quatre-vingts familles avaient tout perdu dans un incendie à Fort-Royal en mai, les morts se comptèrent par centaine dans l’île en août, et les travaux entrepris pour le développement de la ville-capitale furent mis à mal par le raz de marée et le séisme de septembre. À n’en point douter, 1766 fut une année que la population dut apprécier d’achever dans l’espoir de meilleurs lendemains.
Retrouvez les trois épisodes de la série
- 1766, une année d’aléas pour la Martinique #1/3 l’incendie de Fort-Royal en mai
- 1766, une année d’aléas pour la Martinique #2/3 l’ouragan d’août
- 1766, une année d’aléas pour la Martinique #3/3 le raz de marée et le séisme de septembre
Bibliographie
- Saffache, Pascal, Jean-Valéry Marc &all, Tremblement de terre et raz de marée dans les départements français d’Amérique. Paris: Publibook/Société des écrivains, 2003.
Le livre contient une liste des séismes du XVIIe au XXe siècle avec mention de sources historiques.
Archives nationales outre-mer
- Ennery, gouverneur des Iles du Vent, n° 44 – Extraits d’une lettre de d’Ennery (n° 12) du 28 septembre (7 décembre 1766), COL C8 B 12 N° 65
- Ennery, gouverneur des Iles du Vent, Courrier sans n° – 22 octobre 1766, COL C8 A 68 F° 111
Ennery, gouverneur des Iles du Vent, courrier du 26 novembre 1766, COL C8 A 68 F° 73 et courrier sans n° – 27 novembre 1766, COL C8 A 68 F° 113
Iconographie
BNF, « Veue du Fort royal de la Martinique », Éditeur : [s.n.][s.n.], Date d’édition : 17..
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